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Homélie du dimanche 23 juillet 2023

Hier, la journée de Mathilde a été rude ! Des kilomètres de randonnée en montagne sous un soleil de plomb. Parfois, elle a croisé des routes et fut tentée de faire du « stop » pour soulager sa fatigue et abréger cette course qu’elle avait décidée. Seul son amour-propre l’en a empêché.

Son défi accompli, quelle fierté de monter dans le bus du retour le soir venu. Elle a besoin d’être admirée. En saluant le chauffeur, elle lui glisse fièrement : « C’est ce qui s’appelle tenir bon ! J’ai été jusqu’au bout de mon effort ! » Du tac-au-tac, le chauffeur lui répond : « Moi aussi, si je n’étais pas allé jusqu’au bout de mon effort, je ne serais pas là pour vous reprendre ! »

Déconcertée, Mathilde, par la réplique du chauffeur ! Il aurait pu lui dire : Bravo ! Non, il est lucide et réactif devant cette jeune femme un peu fanfaron. Avec bienveillance, il la remet gentiment à sa place dans le monde.

Déconcertés aussi les apôtres par la parabole de l’ivraie et du bon grain. Face à l’effort du semeur, pourquoi ne pas arracher tout de suite l’ivraie qui risque de tout anéantir ?

En cet été, il est bon de goûter l’humour de Dieu mais aussi sa bienveillance qu’on appelle miséricorde. Qu’est-ce qui nous permet de tenir bon dans la vie, d’aller au bout de nos efforts ? Comme s’il n’y avait que nous qui tenions bon, qui étions forts ! L’ivraie n’était-elle dans la tête de Mathilde avec son arrogance et son aveuglement. « Ayez un peu plus d’humilité dans vos efforts, nous dit Jésus, ça vous rendra plus humains ».

Nous ne sommes pas d’emblée du bon grain. Tout est mêlé en chacun de nous. Et l’ivraie dans le champ de blé, c’est comme la mauvaise herbe dans nos vies : c’est bien connu, ça a la fâcheuse tendance à pousser plus vite que la bonne herbe. On a plus tendance à regarder notre nombril que la tête des autres. Tous, nous aimerions être dans une famille paisible, dans un quartier chaleureux, dans une Eglise de saints, et nous passons notre temps à juger, à trier ceux qui ne nous plaisent pas ! Chacun a toujours tendance à voir midi à sa porte. Jésus nous dit : c’est ça la vie, c’est ça le monde. Personne n’est totalement bon, parfait ; personne n’a entièrement raison. Accepter cela avec humour nous donne un regard moins sévère sur l’ivraie des autres.

Mais la parabole de Jésus pose une question de fond qui nous obsède tous : d’où vient l’ivraie ? D’où vient le mal ? Question terrible, abyssale. Les apôtres sont troublés que Dieu laisse croître en même temps le bon et le mauvais. Si Dieu est Dieu, il ne devrait pas y avoir tout ce mal. Pourquoi Dieu laisse-t-il faire ?

Comme les apôtres, on voudrait pouvoir arracher, éradiquer le mal. Mais cette lutte contre le mal ne semble pas obséder Jésus. Il fait confiance au blé qui lève. Dieu est innocent de l’ivraie : « C’est un ennemi qui l’a semée ». Dieu ne peut pas détruire le mal sans détruire l’homme, le privant de cette liberté par laquelle il est image et ressemblance de Dieu. « Ne faites pas de zèle, nous dit Jésus. Ne vous prenez pas pour Dieu !

Apprenez à vivre avec l’ivraie en vous et autour de vous ». Le zèle, étymologiquement, c’est la zizanie, ça crée des sectes, des ghettos ! « Le zèle pourrait vous transformer en fanatiques et faire des ravages ». Jésus dénonce nos impatiences, nos intolérances, nos incorrigibles propensions à exclure, à condamner. Le vrai zèle pour lui consiste à triompher du mal par le bien, à chercher ce qui reste à sauver chez l’autre.

Pourquoi ne pas arracher l’ivraie ? Vous avez déjà essayé de changer votre tempérament, votre caractère ? Peine perdue ! Soyons lucide sur nous-mêmes et gardons l’humour. Sans être complaisant à l’égard de l’ivraie qui est en nous, laissons Dieu s’en charger. C’est lui qui fera le tri et gardera le blé.

« Ayez la patience de Dieu, nous dit Jésus ». Le passage du livre de la Sagesse, que nous venons d’entendre est admirable : « Dieu, le tout-puissant, juge avec modération et gouverne avec beaucoup de ménagement ». La prévenance de Dieu est pour chacun : il est lent à la colère et plein de miséricorde. Jésus lui-même en a témoigné. Comment fonctionnait-il avec la femme pécheresse, avec Pierre ? Jamais il ne les a condamnés. Il leur a plutôt dit : « Je sais que toi, tu veux et tu peux progresser. Alors appelle la miséricorde de Dieu et crois aussi que les autres peuvent progresser. Ne désespère de personne : ni de toi ni des autres ».

Saint Paul ne nous a pas dit autre chose en nous incitant à prier : « L’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse ». Prier, ce n’est pas seulement ouvrir notre cœur à Dieu. C’est aussi déposer à ses pieds nos mauvaises herbes, nos fardeaux, nos impatiences vis-à-vis des autres. Une attitude qui creuse en nous un espace où le souffle de Dieu peut circuler, pour découvrir une autre vérité sur nous-mêmes et sur les autres. « Essaie de prier, nous dit Paul, Dieu t’aidera et te remettra en route ».

Finalement, la parabole de l’ivraie n’est pas une parabole de la patience, mais une parabole de combat et de progrès : il ne convient ni de se lamenter, ni de se complaire devant l’ivraie dans nos vies et dans celles des autres, mais de croire en la bienveillance de Dieu et de l’appliquer à nous-mêmes et à nos frères en s’ouvrant au pardon. « Ceux qui sont insensibles au pardon n’ont rien compris ni à l’Evangile, ni à la réalité de ce qu’ils sont eux-mêmes ».

Mathilde a eu raison de faire effort, de tenir bon, mais elle a eu tort de croire qu’il n’y avait qu’elle qui luttait ! Ne désespérons de personne, nous avancerons ensemble !

Philippe Mouy