Homélie du dimanche 21 juillet 2024
(16ème dimanche du temps ordinaire, année B)
L’être humain aime bien les rassemblements (cf. le Tour de France, les JO tout proches, hier à La
Rochelle avec les écologistes…). Or, dans tous les textes que nous venons d’entendre, c’est le DIEU DES RASSEMBLEMENTS, qui est célébré. Plongeons dans les trois formes de rassemblement qui nous sont proposées.
La première forme de rassemblement a une visée universelle
« Moi, je vais m’occuper de vous… Je rassemblerai moi-même mes brebis et je susciterai des pasteurs dignes », dit Dieu dans la première lecture par la voix du prophète Jérémie. Cette promesse de rassemblement conclut la terrible accusation de Jérémie : « Quel malheur pour vous, pasteurs : vous laissez périr et disperser mes brebis » Il est témoin de l’exil du peuple à Babylone
Dans la Bible, l’image du berger est fréquente pour désigner les responsables du peuple de Dieu : Jacob, Moïse, David et bien d’autres sont appelés à prendre soin du peuple et à le conduire en exerçant le droit et la justice. Mais combien sont défaillants ! « Misérables bergers mercenaires » qui font encore la guerre aujourd’hui dans notre monde. Qui arrêtera leurs méfaits ?
Lorsqu’il prophétise, Jérémie est convaincu que Dieu reprendra la direction des opérations. Dieu ne peut pas abandonner son peuple. C’est la promesse d’un Messie. Jésus ne sera-t-il pas reconnu comme le nouveau Moïse, le Messie attendu ? Avant-hier, à Colmar au musée Unterlinden, j’admirai le bras tendu de Jean-Baptiste vers le Christ en croix du retable d’Issenheim.
Cette image forte du berger peut nous parler, en particulier au moment où la France, sans majorité parlementaire, se cherche péniblement des guides. Dans la Bible, le berger fait l’expérience de la solitude et de la fragilité ; il doit sans cesse veiller, panser, accompagner, et faire preuve d’endurance, d’initiative, de bonté et de rigueur. J’imagine que cette image, même dans notre civilisation ultra-moderne, vous parle de l’attention de Dieu pour chacun et de son désir de rassembler.
La seconde forme de rassemblement nous dirige vers le cercle restreint des disciples. A leur retour de mission, Jésus interpelle ses disciples : « Venez à l’écart dans un endroit désert »
Quelle chance pour les disciples ! C’est l’humanité de Jésus : il sait ce qu’est la fatigue, il est attentif à ses compagnons, qui ont besoin de souffler… Il ne s’agit pas d’une fuite ; ce n’est pas un luxe.
Vous imaginez la joie des disciples, qui vont pouvoir rendre compte de leurs actions au Maître, lui dire qu’ils n’ont pas ménagé leur peine ! Qui sait : ils attendent peut-être même 1 récompense, des félicitations. Mais ils vont vite déchanter : « Reposez-vous un peu ».
Jésus ne nous demande pas des comptes. Chacun fait ce qu’il peut, comme il peut. Voilà la grande leçon d’humilité. Une réelle invitation à la décrispation, à la détente, au repos évangélique. Toutes nos activités fébriles, tous nos rassemblements, tous nos débats, c’est très bien. Mais, nous n’avons fait que notre devoir.
« Viens à l’écart, nous dit Jésus. Laisse ta comptabilité. Tu as les bras chargés de mérites.
C’est lourd à porter et tu crains de les perdre. Viens à moi les mains vides ».
Voici un appel parmi les plus rudes qui soient proposé au croyant, au militant : « Tu n’as fait que ton devoir ! » Pensons à tous les conseils de famille, syndical, associatif, paroissial auxquels nous sommes invités activement à participer, et au Synode de Rome qui cherche de nouvelles formes de gouvernance. Ce n’est pas nous le berger ; personne ne peut se substituer au Christ.
Mais finalement n’est-ce pas cela nos célébrations : un moment d’intimité, de recueillement avec Dieu au milieu de frères et sœurs en Christ ; pas une manière de fuir le monde, mais une occasion de faire un peu silence en soi pour rendre grâce et se rendre disponible, avant d’être renvoyés dans la vie.
En cet été, il nous est donné cette invitation de mise à l’écart : à l’écart de soi, où l’on peut mieux recevoir la Parole, pour nous écarter du trop-plein de nous-même. Un temps pour prendre du recul, faire une pause, faire retraite pourquoi pas, ou encore plonger dans quelque livre nourrissant.
La troisième forme de rassemblement tient à Jésus qui fait déplacer les foules.
C’est la course autour du lac de Tibériade. Alors que Jésus pensait rester tranquille à l’écart avec ses apôtres, voici que la foule accourt. Elle cherche un vrai berger. Et Jésus n’est pas impavide. « Il fut pris de compassion, saisi de pitié envers ces gens, parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger ».
Bousculé, bouleversé par cette foule, il va se faire leur berger, mais d’une manière qu’ils ne soupçonnent pas : un berger pas comme les autres. Pris aux entrailles, il fait corps avec cette foule.
Et « il se mit à les enseigner longuement ».
Mais alors, tout ce que les disciples avaient fait, ce qu’ils avaient enseigné, n’était-ce donc rien ? Avaient-ils travaillé en pure perte ? On pourrait le croire. Leur chance : « Ils sont devenus les intimes de Dieu » et ça leur suffit ! Les voilà confortés pour témoigner de l’esprit de paix et de réconciliation évoqué par Paul dans la seconde lecture.
Sans conclure, je vous propose ces belles paroles de Marion Muller-Colard, avec l’image du puits où l’on va se désaltérer :
« Puise, ne t’épuise pas, mais puise.
Laisse faire ton repos, qui remontera pour toi le sceau d’une eau nouvelle. Bois à grandes goulées, bois à petites gorgées pour revivre autrement.
Puise, ne t’épuise pas, à te croire inépuisable.
Le Maître est venu. C’est lui qui se chargera du poids de ton salut. Bois à la source, bois sa Parole et tu seras désaltéré.
Puise, jette loin le sceau de tes efforts et de ta volonté.
Laisse reposer la pâte pour qu’agisse le levain.
A trop user tes mains, tu prives l’œuvre d’autres artisans.
Alors, vivons cette eucharistie comme une mise à l’écart pour puiser auprès de Dieu le bonheur de vivre sous le regard du Christ, notre Berger.
père Philippe MOUY