Chers amis, frères et sœurs,
Me voilà installé depuis quelques jours en cette terre iséroise et au milieu du peuple qui y réside. Mettons le mot « installé » entre guillemets car le Seigneur, lui qui n’a pas une pierre où reposer la tête, ne semble pas souhaiter le confort douillet d’une situation sociale confortable : « Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête » (Mt 8, 20). Comprenons donc ce mot en nous référant aux bergers de l’évangile qui partagent la condition de leur troupeau dans la montagne ou à la bergerie. Même si le logement du centre-ville qui est maintenant ma résidence est un peu plus cossu qu’une bergerie…
Votre accueil est vraiment chaleureux, et je vous en remercie beaucoup. Cela m’aide à vivre ce temps de transition dans la paix et la sérénité.
J’ai commencé à aller à la rencontre de certaines et certains d’entre vous sur ce vaste territoire, sans plan préétabli en tentant de me laisser guider par une occasion qui se présente, une suggestion d’un collaborateur ou le sentiment intérieur (peut-être trompeur…) qu’il me faut aller en tel lieu. Je tente de faire cela sans précipitation, en gardant de longues plages pour la prière, le repos, le contact avec la nature, qui est si belle en ce territoire. L’avenir du monde et de l’Église – même locale – ne dépendent pas de moi, mais du Seigneur et de tous ses disciples missionnaires, dont je ne suis qu’un pauvre et modeste exemplaire.
La semaine dernière, je me rendais à Lourdes pour participer à l’Assemblée plénière avec mes frères évêques pour la première fois en tant qu’évêque de Grenoble-Vienne. Nous avions à cœur de traiter les sujets prévus à l’agenda de cette session : les nécessaires conversions missionnaires des diocèses, le chemin de transformation de la Conférence des évêques (afin qu’elle soit plus synodale et davantage au service des diocèses et de leur mission)… Mais comme vous le savez, l’actualité a remis au premier plan la lutte contre la pédocriminalité et les indispensables changements d’habitudes que nous devons mettre en place ; particulièrement au regard des informations auxquelles ont droit les personnes victimes et tous les baptisés. Je vous invite à consulter le message que nous avons élaboré ensemble : « Bouleversés et résolus ». Vous pouvez le trouver sur le site de notre diocèse ou sur celui de la Conférence des évêques de France.
Nous pensions avoir vraiment changé de culture et définitivement abandonné les logiques de contournement et de silence lorsque nous avions adhéré au mois de mars dernier aux conclusions du rapport Sauvé. Mais force est de constater que ce n’était pas le cas. Avec les personnes victimes, nous sommes atterrés et nous demandons si les choses finiront par changer. Pascal Wintzer, évêque de Poitiers, disait qu’il ne faudrait peut-être pas moins de 40 ans, après cette terrible séquence, pour que la confiance puisse éventuellement être retrouvée. Je partage ce point de vue. Il faut presque toute une vie à des personnes ayant été agressées pour retrouver un chemin pacifié ; et parfois la vie entière n’y suffit pas. Notre génération de responsables d’Église – imprégnée plus ou moins inégalement, et plus ou moins consciemment, de cette culture du silence qui a eu tant d’effets destructeurs – ne s’en relèvera sans doute pas de sitôt. C’est une génération en quelque sorte perdue. Il faut l’accepter et, simplement et humblement, mettre en place de nouvelles pratiques saines et vertueuses qui pourront permettre à la génération suivante de partir sur des bases nouvelles. Il nous faut travailler pour eux et pas pour nous ; pour nous il est probablement trop tard.
Ne nous berçons donc pas d’illusions, le chemin sera long. Il faut s’y engager résolument comme sur un chemin de croix, conscients que l’horizon de la Résurrection est encore bien éloigné… Mais cela ne doit pas affaiblir notre volonté de mettre en œuvre, résolument, tout ce qui est susceptible de nous rapprocher de cette échéance. Pour avoir la garantie la plus sérieuse de ne pas laisser de côté cette urgence, il nous faut certainement emprunter le « chemin des pauvres » ; de ces pauvres qui sont comme le quasi-sacrement de la présence du Seigneur. J’aime l’expression d’Erwan Le Morhedec qui, après avoir passé un long temps avec une personne touchée par le grand âge et la dépendance, l’avait vu passer d’un profond découragement à un émerveillement renouvelé face à la vie, disait : « Si tout se casse la gueule, il nous restera ça : être des tâcherons de la charité ». Dans ce temps de notre Église, au milieu de tous ces drames, si nous avons un témoignage à apporter ce sera principalement, et peut-être uniquement, celui de la diaconie, du service des plus fragiles. Tout en indiquant paisiblement, humblement, où cet amour puise sa source : en Jésus, le Sauveur. C’est sur ce chemin que nous risquons le moins d’oublier nos bonnes résolutions.
Mes amis, dans le temps de l’Avent, chacun d’entre nous, et tous ensemble, nous allons nous efforcer de renaître à une vie nouvelle avec le Christ. Il vient nous rejoindre au cœur de nos ténèbres pour les illuminer de sa présence. Laissons-nous emporter par son souffle d’amour et de paix et renaissons à une vie ecclésiale nouvelle.
Très fraternellement.
† Jean-Marc Eychenne
Évêque de Grenoble-Vienne